Photos pour prolonger le bonheur présent, pour "après", "plus tard"... si on savait... si on se doutait que "plus tard", c'est-à-dire "après" les deuils, le départ des enfants, des proches, ou simplement la solitude, regarder ces photos relèverait du masochisme....
Tout ça est évidemment progressif...
D'abord, on ne sait pas encore qu'on est en train d'entrer dans ce no man's land qu'est la rupture inéluctable avec la vie "d'avant".
On en met partout ou on peut.. c'est la déco famille. Et en les regardant au détour d'un couloir, on se réjouit par avance de la visite annoncée de l'exposé.
Et puis, on met les vivants dans un coin, pour mieux les attendre.
Les autres, qui sont partis de l'autre côté du monde, sont plus à l'écart des lieux de passage, les morts ont besoin d'un endroit propice à la méditation.
L'ennui avec la retraite, c'est que... si occupé qu'on soit, les "actifs" le sont plus encore, et ce n'est jamais le bon moment pour appeler.
Et eux, ils sont occupés à vivre, alors, ils ont peu de temps pour appeler...
Et progressivement, ils n'ont pratiquement plus le temps de venir....
Et à force de n'avoir plus le temps ni d'appeler, ni de venir, ils n'ont plus le temps non plus d'y penser.....
Les croiser sur les murs, sur les consoles, devient plus pesant que joyeux pour les oubliés, alors, ils sont remisés dans des boîtes, à part une demi douzaine de photos qui participent au décor de la chambre.
Ouvrir des cartons pour revoir des photos, et prendre de plein fouet la preuve de ce qui a existé et qui est fini à jamais...peur d'avoir trop mal....
Alors, les jours, puis les mois et les années passent, et on n'ouvre même plus les albums.... peur d'avoir mal. Il faut garder le moral, rester léger...
Et alors, on commence à comprendre: pour tenir, il faut fermer la porte sur le passé et avancer...